| Source : The Boston Globe du
Traduction relue par MA Grumelin
Pour la
société israélienne, il importe de restaurer la confiance
par Michal Sella*
En Israël aujourd'hui, la question n'est pas seulement de
savoir comment se relever de la guerre, mais aussi comment restaurer la
confiance au sein de la société israélienne. Depuis l'indépendance d'Israël, il
y a plus de 77 ans, les relations entre ses citoyens juifs et arabes ont été
complexes, parfois fragiles, mais toujours essentielles à la démocratie
israélienne.
Après les horreurs du 7 octobre 2023 et la guerre
dévastatrice de deux ans qui a suivi, ce tissu social fragile a été mis à rude
épreuve, comme jamais auparavant. Les attaques du Hamas et la riposte militaire
israélienne ont profondément traumatisé Juifs et Arabes, fragilisant davantage
encore leurs liens déjà précaires.
Les Arabes d'Israël se trouvent tiraillés entre leurs
identités israélienne et palestinienne. Nombre d'entre eux ont de la famille à
Gaza et en Cisjordanie. Ils aspirent à une meilleure qualité de vie, à une
participation plus complète à la société israélienne, mais aussi à une paix
durable et négociée entre leur pays, Israël, et le peuple palestinien.
Les Juifs ont subi un traumatisme d'une autre nature, après
le pire attentat terroriste jamais perpétré en Israël. La menace de nouvelles
attaques contre Israël, et plus largement contre les Juifs du monde entier, est
omniprésente. Pour beaucoup de Juifs israéliens, même parmi les plus
progressistes, l'idée même d'un État palestinien est devenue inconcevable.
Dans ce contexte de tensions, Juifs et Arabes, qui
continuent de coexister pacifiquement, peuvent-ils construire une société
commune ? Un Israélien sur cinq est arabe ; ils représentent 2
millions de personnes sur une population totale de 10 millions.
Les interactions quotidiennes significatives sont rares. La
plupart des Juifs et des Arabes d'Israël vivent dans des communautés distinctes
et leurs enfants fréquentent des écoles séparées. Le système éducatif, divisé
en quatre filières – juive laïque, juive religieuse, ultra-orthodoxe et arabe –
offre peu d'occasions de véritables échanges. Nombreux sont ceux qui ne se
rencontrent qu'à l'université ou au travail.
De plus, Juifs et Arabes s'informent généralement auprès de
sources différentes. Ce contraste était particulièrement marqué dans la
couverture médiatique en hébreu et en arabe pendant la période qui a suivi le 7
octobre, exacerbant craintes et malentendus.
Les relations ont atteint un point critique. Juifs et Arabes en Israël se méfient davantage les uns des autres qu'avant le 7 octobre. Un sondage national réalisé en début d'année par mon organisation, Givat Haviva, a révélé que 72 % des Israéliens juifs ne font pas confiance à leurs concitoyens arabes, 43 % des Arabes exprimant la même défiance envers les Juifs. Les résultats de ce sondage montrent l'ampleur du travail nécessaire pour apaiser les tensions au sein de chaque communauté, reconstruire la confiance mutuelle et rétablir la coopération entre les citoyens israéliens profondément attachés à l'avenir du pays.
Avant le 7 octobre, de réels progrès avaient été accomplis.
Partout en Israël, citoyens juifs et arabes ont renforcé leur coopération dans
les domaines de l'éducation, de la gouvernance locale et de la société civile.
Les organisations non gouvernementales ont joué un rôle moteur, créant des
espaces où Arabes et Juifs israéliens pouvaient se rencontrer, étudier et
travailler ensemble, souvent pour la première fois.
Le système de santé israélien en est un exemple éloquent. La
minorité arabe représente 25 % des médecins, 27 % des infirmières et 49 % des
pharmaciens. L'excellent système de santé publique israélien ne pourrait
fonctionner aujourd'hui sans son personnel arabe.
Par ailleurs, malgré les menaces qui pèsent sur Israël
depuis deux ans, la situation intérieure est restée calme. Les violences entre
citoyens juifs et arabes d'Israël, qui avaient éclaté lors du conflit de mai
2021 à Gaza entre les forces israéliennes et le Hamas, ne se sont pas
reproduites après le 7 octobre. Cette absence de violence est le fruit d'années
d’un travail concerté mené par les éducateurs, les responsables locaux et les
ONG pour renforcer les liens intercommunautaires.
Pour toutes ces raisons, j'ai bon espoir que les liens de
confiance entre Arabes et Juifs dans mon pays puissent se renforcer à nouveau.
À Givat Haviva, une organisation qui, depuis 1949, mène des programmes
éducatifs pour promouvoir les relations judéo-arabes, nous avons constaté la
pérennité de ces liens.
Notre programme de langue commune, qui en est à sa 11ème
année, envoie des enseignants juifs dans des écoles arabes pour enseigner
l'hébreu et organiser des rencontres entre élèves arabes et éducateurs juifs.
Immédiatement après le 7 octobre, certains craignaient que ce programme, qui
touche plus de 20 000 élèves arabes, ne s'effondre. Au lieu de cela, en
deux semaines, il a repris pleinement et avec enthousiasme. Le Ministère de
l'Éducation, un soutien de longue date, a même augmenté son financement pour
l'année scolaire en cours, reconnaissant que ces rencontres sont essentielles à
la reconstruction d'Israël et à l'édification d'une société plus saine.
Certes, notre mouvement rencontre des résistances, notamment
de la part de dirigeants politiques d'extrême-droite qui ont acquis une
influence considérable au sein du gouvernement actuel. Les Israéliens, juifs comme
non-juifs, sont confrontés à cette résistance. Les citoyens arabes ont fait
preuve de résilience face aux intimidations du Ministre de la Sécurité
nationale, Itamar Ben Gvir, qui a procédé à des arrestations pour avoir exprimé
des opinions sur la guerre. Au moins 110 citoyens arabes ont ainsi été arrêtés
dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre.
Le Ministre des Finances, Bezalel Smotrich, fervent partisan
de l'expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie et de l'annexion des
territoires, a réduit les budgets nationaux alloués au développement
socio-économique dans la population arabe. Or, ce sont ces budgets qui ont
permis, au cours de la dernière décennie, des progrès significatifs dans des
domaines comme l'éducation, l'emploi, les transports et autres.
Néanmoins, des responsables juifs et arabes ont uni leurs
efforts pour maintenir le calme au sein de leurs communautés respectives. Les
programmes éducatifs menés par des ONG œuvrant pour une société solidaire ont
permis aux citoyens arabes et juifs d'échanger librement leurs points de vue et
de mieux comprendre les réalités de chacun.
Une société judéo-arabe unie n'est pas seulement un objectif
moral : c'est une nécessité stratégique pour la stabilité, la prospérité
et la démocratie en Israël. Avec le cessez-le-feu désormais en vigueur à Gaza, il
est question d'étendre les accords d'Abraham afin de normaliser les relations
entre Israël et les pays arabes. Des liens plus étroits entre Arabes et Juifs
en Israël sont de nature à faciliter l'amélioration des relations d'Israël avec
ses voisins arabes.
La santé de la société israélienne sera renforcée non
seulement par l'instauration de la paix à ses frontières, mais aussi à
l'intérieur même de ses frontières. Des accords régionaux historiques sont
possibles tant que la population israélienne, malgré ses divisions, est
suffisamment forte pour prendre des décisions courageuses et s'opposer à
l'extrême-droite.
À l'approche des élections nationales de 2026, les
dirigeants de tous les horizons politiques israéliens doivent faire du
rétablissement et du développement de relations judéo-arabes harmonieuses une
priorité absolue. Il n'y a pas d'autre solution.
*Michal Sella est Directrice générale de Givat Haviva, un centre éducatif qui promeut une société judéo-arabe solidaire en Israël.

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